Revues de Presse

Articles web ou papier et citations à propos de Kezi Willys

ARTICLES DE PRESSE ET WEB

AMINAMAG – Willys Kezi réalise l’affiche du Longines Global Champions Tour
ADIAC – Exposition éphémère : Willys Kezi à la galerie Éric-Dupont
LE MONDE – Sélection galerie : Willys Kezi chez Eric Dupon
BLOG Fabien Ribery – Les femmes palimpsestes de Willys Kezi, plasticienne

Journal Les Dépêches de Brazzaville
Journal Les Dépêches de Brazzaville
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Magazine Beaux Arts

CONTRE LES OBJETS, CONTRE LES IMAGES

Si vous êtes digne du pays, vos yeux éclairent l’intérieur et l’extérieur
Sophie Podolski, Le Pays où tout est permis, 1979 (Edition Fonds Mercator – WIELS, janvier 2018)

Willys Kezi est une peintre donc elle se bat contre l’image. Elle la regarde, à partir de son pays le Congo et du nôtre qu’elle voit tous les jours car elle y vit désormais. Elle observe notre société et, en son sein, les hommes et femmes qui y vivent. Noirs ou blancs, jeunes ou vieux, elle les rencontre physiquement ou virtuellement sur les réseaux sociaux, les « théâtres d’Internet ». Elle se laisse envahir, elle est entourée d’images qui l’assiègent. La peinture la libère de cette emprise et, plus précisément, de celles d’une suite de figures, celles des femmes noires, ses soeurs. Celle aussi de la « femme noire » telle qu’elle est proposée au sein des systèmes de diffusion : publicités, bande dessinées, légendes identitaires fantasmées par le désir de l’autre, notamment celui de l’homme blanc.


Cette image Willys Kezi la met en crise, non en répétant la critique des systèmes de pouvoir mais, paradoxalement, en questionnant, en jouant, en ironisant sur ceux ou celles qui leur permettent de fertiliser ce terrain, les victimes elles-mêmes, ses frères et soeurs, une part de sa communauté qui, à la manière des dominés de Jean Genet, acceptent de se travestir en acteurs d’une pièce écrite par les dominants dont les arguments, à travers les réseaux numériques sont, aujourd’hui, planétaires. Dans un labyrinthe d’images séductrices, sexuelles, commerciales, au luxe illusoire, Willys Kezi pointe les dangers de la servitude volontaire et, avec la peinture, s’y oppose.
Elle défait l’image, défait son caractère policé. Tout ce qui brille n’est pas d’or. Elle l’empêche de « fonctionner » en sa logique et sa beauté factices. Elle part d’un stéréotype : le corps sculptural, lisse, de la « déesse noire », héritage de la photographie et d’une certaine peinture occidentale. Elle le fragmente, le découpe, le recolle. Elle le pose au centre, véritable sujet problématique, plus ou moins assemblé, imparfait mais vivant grâce à une peinture qui exprime la complexité douloureuse d’une quête d’identité.


Dans une remarquable peinture, la couleur jaune d’une chevelure est, à la fois, événement pictural et symptôme d’une aliénation dérisoire « cent pourcent de cheveux humains lisses européens, blonde ».


Ils viennent coiffer une tête où le corps, grâce au collage, est imaginé sur des sachets destinés à être éliminés et jetés. « Pensez au tri » peut-on lire sur l’un d’eux alors que dans les entrelacs d’une dentelle érotique, on reconnaît issus d’un univers éloigné, les rues de Paris ou Kinshasa, les silhouettes quotidiennes de travailleurs ou de passants. Dans son oeuvre, Willys Kezi, mélange, mixe compose.
Grâce à la peinture, elle explose le pouvoir des « figures imposées » qu’elle opère pour les rendre inopérantes.


Sa peinture, grâce à son dessin, ses noirs profonds, ses teintes vives proches des arts populaires, des « couleurs lumières » de Paul Klee ou, au contraire, des surfaces de David Hockney, nous accueille, nous sourit pour mieux nous conduire à son sujet : des épigrammes contre toutes les odalisques, tous les orientalismes et les exotismes. Elle maintient les pouvoirs de séduction de la peinture. Le plaisir, cependant, ne mène pas ici, aux plaisirs mais aux théâtres troublés de notre humanité.

Peintre, elle affirme, donc, l ‘espace contre les images et les formes contre les objets. Ces objets sont partout. Ils sont nos « étant donnés » : produits de luxe, sacs de marque, sous-vêtements sophistiqués, limousines, bouteilles de champagne mais ces objets ne sont pas des emblèmes ni des « corps glorieux ». Elle les pulvérise. Ils sont empoisonnés, rongés par les dessins, « les graphies » qui sont des écritures épidermiques, « à la lisière du vu et du lu ». Willys Kezi, à la manière de l’extraordinaire dessinatrice belge Sophie Podolski, écrit dans ses dessins, ses peintures ; ses écritures sont des dessins, non pour tenir discours mais pour créer des circulations qui sont le système vasculaire de ses tableaux.

Ils rappellent, écoulent, dévident au sein d’un corps somptueux, le nombre de morts du virus Ebola, ou le prix du cours de la banane au marché ou ce qu’il a fallu débourser pour la nourriture du jour ou les prêches mensongers des évangélistes. Ils associent de somptueux sacs à main au mot « Vögeln » en allemand « Baiser ». Baiser pour acheter, acheter pour baiser sont les termes de l’échange. Les objets ne sont pas des objets, leur vérité plus secrète est révélée par cette écriture qui les irrigue, celle de la mémoire, celle de l’enfance, celle du commerce de l’everyday life, celle des mots rêvés, volés aux chansons, graffitis, griffonnages entraperçus sur les murs d’Instagram comme sur ceux de la ville. Ils accompagnent les biographies éphémères. Particulièrement celles des femmes qui, malgré son amour, révoltent Willys Kezi. On peut lire dans une oeuvre le titre de Stefan Zweig « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » et dans une autre « Je suis bien élevé » ou « Chez Tombon, gratuit pour les filles » ou encore « Je veux être Kim Kardashian » mais aussi « Je suis bio, noire et fière », « Merci papa et maman ». Il y a là, une vision douce-amère, sans complaisance de la société qui me rappelle celle de Georges Grosz, de Robert Combas ou encore de Carol Rama, les lignes s’y croisent, s’y heurtent, s’accouplent entre cruauté et compassion amoureuse. Il y a des danses de corps sans têtes, sans pensées. Remplacées par des étiquettes, des fleurs ou des lampes. Au sein des crises qui se succèdent, cette société joue, se déguise. Les espaces et les formes de Willys Kezi ne nous font pas la morale. C’est comme ça, c’est tout, même si on peut lire, ici ou là : « Tout s’effondre » mais aussi « Paradis ».

Dans ses tableaux, on mange, on boit, on goutte un délicieux champagne, le « Noir de Noir », à l’ivresse énigmatique. Willys Kezi se sert de la peinture, avec humour et sens de la fête pour mieux nous laisser incertains, suspendus, inquiets. C’est à ce moment-là, dans une très brève performance à la manière des futuristes qu’elle nous livre le coeur de son oeuvre, à la mesure de ses craintes et de sa douleur.

Parée d’un masque africain, un de ceux qui sont célébrés par les « arts premiers », qui efface la dimension existentielle de l’être, elle entre sur scène. Un homme blanc le lui arrache laissant voir un visage grimaçant. Elle pousse, alors, un cri déchirant et tombe à terre. Son sang se répand et macule son vêtement.

Dans le rouge, elle jette et écrase un jaune, sous son ventre, celui de sa nourriture, avec ce jaune, entre dépense et sacrifice, revoilà les éternelles, les increvables bananes de Joséphine Baker.

Olivier KAEPPELIN